Tahar DJAOUT : L’ÉLU (2ème partie)

Si vous ne vous souvenez pas du début de cette Nouvelle,

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Comme la lumière se fait attendre, j’opte pour la deuxième hypothèse. Les quelques pas que je fais d’abord sont craintifs. Mais après une centaine de mètres dans ce labyrinthe d’un noir inimaginable j’ai fini par marcher à mon rythme habituel. Aucun obstacle pour entraver ma marche ou me précipiter dans le gouffre redouté.

 

J’ai d’abord parcouru comme un somnambule (quelle confusion de souvenirs terrestres fait naître en moi ce terme) un kilomètre environ. Mais bientôt s’éveille en moi une angoisse d’autant plus inquiétante que je n’arrive pas à en déceler la cause. Mes yeux ouverts démesurément n’ayant pu percer l’obscurité qui         m’entoure, je me mets à fouir les ténèbres de la puissance de mes deux mains. Je tends mes ongles pour saisir et pulvériser mon angoisse que je sens agglutinée à cette poix noire.

 

Mes  terreurs se sont presque dissipées lorsque je vois, loin devant moi, une sorte de fanal . Un espoir renait en moi. Je n’accorde maintenant aucune pensée aux ténèbres que je laboure, avec mon corps ( oh ! combien lourd en vérité ). Arriver là-bas. Faiblesse de mes yeux épuisés par les ténèbres ( tout mon trajet a été marqué par l’impression de traverser un élément très dense ) ou phénomène réel ? Le fanal disparaît de temps à autre. Il faut pourtant que je marche. J’ai. hâte d’étancher ma soif de lumière dans cette source jalouse qui se fait un plaisir d’aiguiser mon angoisse par ce jeu cruel de simuler la disparition.

 

Enfin – ô bonté inépuisable de Dieu – un halo de lumière se déverse du ciel. Je fais quelques pas, rempli d’une joie difficile à réprimer, quand je vois à quelques mètres de moi Leïla, ma femme. Je n’éprouve aucun sentiment particulier à cette apparition. Elle s’approche de moi sans prononcer un mot et se range à mon côté. Je sais que c’est un mirage. C’est pour cela que nous avons fait quelques pas dans un silence érémitique*. Cette présence, loin de m’induire en gaieté, a jeté un voile sombre sur la joie née de la réapparition de la lumière. De ce corps dont je sens parfois le contact, il ne se dégage aucune chaleur. Un froid de marbre. J’ai l’impression que ma femme est ressuscitée de quelque royaume de tortures et que, apportant avec elle tout un patrimoine de silence et de froid, elle vient embrumer ma joie.

 

À la fin, ce silence de mort me devient insupportable. Je n’entends que le pas rythmé de Leïla derrière moi. Je décide de rompre le premier cet iceberg qui nous sépare. Lorsque je me retourne pour lui parler, elle n’est déjà plus là.

 

Sa disparition ne réussit pas à me délivrer du voile qu’elle avait jeté sur ma joie. Mais, du moins, je parviens à penser clairement et je me mets à considérer mon parcours. J’ai dépassé (sûrement depuis longtemps) l’univers géométrique et je marche dans un immense désert rouge. Un désert qui a plus d’une ressemblance avec notre Sahara (de jadis). Le soleil (dont j’ignore maintenant la couleur parce qu’il m’est impossible de lever la tête pour le considérer) est torride. Il commence déjà à me faire légèrement souffrir (l’impression d’un poids qui écrase tout mon corps), mais je ne suis pas encore dominé par ce que je crains le plus : la soif. Et malgré mon corps qui crie un long repos, je poursuis ma route et ma recherche. C’est à cet instant que je me heurte à une question qui aurait dû d’ailleurs se présenter bien avant : « Au fait, qu’est-ce que je cherche ? »

 

*Tahar Djaout avait écrit hermitique″ (À mon avis, il voulait parler du silence de l’ermite)

 

 

 

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